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Après avoir provoqué une sévère correction boursière en mars 2020, la pandémie du Covid-19 a entraîné l’une des plus fortes hausses des cours jamais enregistrées à la bourse. Cette remontée spectaculaire cache toutefois un « changement de casting » : les actions et secteurs qui menaient initialement la danse ne sont plus les mêmes qu’il y a quelques mois. Nous avons demandé à Bart Abeloos (Crelan) et à Katrien Pottie (Amundi) de nous expliquer ce phénomène.
BART ABELOOS « On assiste en réalité à plusieurs rotations. La bascule des actions de croissance vers les actions de valeur est la plus frappante. Les actions de croissance sont des actions basées sur une croissance importante et soutenue du volume d’activité et/ou des bénéfices. Ces actions sont forcément très présentes dans le secteur de la technologie, mais également dans le secteur de la santé (il suffit de penser à la biotechnologie et aux équipements médicaux) ainsi que dans le secteur des biens de consommation (le groupe de luxe LVMH, Adidas et Nestlé ont chacun un statut d’entreprise en croissance). »
« Les actions de valeur, en revanche, sont des actions de sociétés qui ne connaissent pas de forte croissance. Le prix d’achat de ces actions est bas, généralement en raison des faibles attentes des investisseurs. Nous considérons qu’une action est « bon marché » lorsque son prix est relativement bas par rapport aux bénéfices, à la valeur comptable ou aux dividendes de l’entreprise. Il s’agit souvent d’entreprises cycliques qui ne peuvent atteindre d’importantes augmentations de bénéfices qu’en période de haute conjoncture. »
KATRIEN POTTIE « Il faut replacer les choses dans leur contexte. La distinction entre croissance et valeur n’est pas toujours nette. De nombreuses entreprises combinent les caractéristiques des deux. Pendant des années, la croissance a été le facteur dominant sur le marché boursier. L’explication est simple : la croissance de l’économie mondiale a longtemps été inférieure à son potentiel. Dans ce contexte, les entreprises ont éprouvé des difficultés à développer leur chiffre d’affaires, et donc leurs bénéfices. Les investisseurs étaient donc prêts à payer davantage pour des entreprises dont la croissance structurelle était supérieure à celle du marché. »
« Or maintenant, au second semestre de cette année, nous allons passer d’un reflux à un flux économique. Cet élan devrait se poursuivre jusqu’en 2022 grâce aux vaccins, à la relance de l’économie et à l’activation d’énormes budgets gouvernementaux. Dans un tel contexte, la croissance ne sera plus du tout rare. À marée haute, les bateaux montent et c’est le cas également pour les entreprises. Les investisseurs ne seront plus enclins à payer des prix élevés en bourse pour des sociétés en croissance alors qu’ils peuvent trouver de nombreuses autres entreprises moins chères, promises à une forte croissance au cours des prochains trimestres. »
BART ABELOOS « On ne peut pas affirmer pour autant que les entreprises technologiques et autres entreprises de croissance sont tombées en disgrâce. Elles ne sont plus les moteurs des marchés boursiers mais conservent une place importante. Certains sous-secteurs sont d’ailleurs encore très prisés. Par exemple, le marché des semi-conducteurs, les technologies de transition énergétique ou encore le passage aux voitures électriques, … En revanche, les investisseurs sont devenus plus sélectifs, estimant que certains ‘gagnants du Covid-19’ ont trop anticipé sur leur croissance future. Netflix en est un bon exemple. »
BART ABELOOS « Personne ne peut dire avec certitude si la course à la valeur a définitivement cessé. Mais la croissance économique qui s’annonce est un multiple de la croissance de ces dernières années. Nous observons également une augmentation de l’inflation attendue : il suffit de regarder la hausse des prix des matières premières et de l’énergie. Dans un tel contexte, il est plus facile pour les entreprises de renforcer leur pouvoir de fixation des prix. Et cela stimule les ventes et les marges de secteurs généralement considérés comme secteurs de valeur : les matières premières, les matériaux de base et le secteur de l’énergie. Les institutions financières, quant à elles, bénéficieront de taux d’intérêts plus élevés. »
KATRIEN POTTIE « Dans le même temps, nous voyons que la crainte d’une hausse de l’inflation et des taux d’intérêts pèse sur la valorisation des entreprises de croissance. Les entreprises de croissance investissent traditionnellement davantage et des taux d’intérêts plus élevés vont de pair avec des coûts de financement de la dette plus élevés. Les entreprises cycliques et matures, qui ne connaissent donc plus de forte croissance structurelle, sont moins touchées par la hausse des taux d’intérêts, à condition toutefois que leur taux d’endettement ne soit pas trop important. »
BART ABELOOS « Ce dernier point est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous ne suivons pas aveuglément la bascule de la croissance vers la valeur. Il est important de rester très sélectif et de ne pas acheter une entreprise tout simplement parce que c’est bon marché. Il y a des raisons au fait qu’elle soit bon marché : un endettement excessif, une perte de parts de marché, un modèle économique qui ne fonctionne plus. Autant de faiblesses souvent amplifiées par les effets de la pandémie. Il suffit de penser aux entreprises de retail qui ont vu leurs clients partir au profit de magasins en ligne. En tant qu’investisseur, on ne veut pas forcément payer le prix le plus bas, on veut en avoir pour son argent. »
KATRIEN POTTIE « La rotation de la croissance vers la valeur, et des gagnants du Covid-19 vers les perdants du Covid-19, est une bonne chose car elle agrandit l’échiquier. Les entreprises et secteurs, mais aussi les régions qui étaient ‘sur la touche’ sont revenus dans la course, ce qui offre davantage de possibilités pour diversifier les portefeuilles. Les actions de valeur ne sont pas les seules à faire leur retour : les marchés qui étaient dans l’ombre de la Bourse américaine voient également revenir des investisseurs, comme l’Europe et le Japon. »
BART ABELOOS « En effet. Nous ne voyons pas cette rotation comme une occasion de changer radicalement les portefeuilles, mais bien de modifier certaines priorités et d’inclure des investissements dont la valorisation reste attrayante. Il s’agit là d’une diversification bienvenue après la spectaculaire hausse boursière de l’année dernière. »
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